Arlette Perrin – Ecrits poétiques, qpfeydel – Impressions photographiques (Toulouse, Impression coolLibri, 2022, rééd. 2023)

Arlette Perrin, Ecrits poétiques, qpfeydel, Impressions photographiques, Toulouse, Impression coolLibri, 2022, rééd. 2023

Arlette Perrin, Ecrits poétiques, qpfeydel, Impressions photographiques, Toulouse, Impression coolLibri, 2022, rééd. 2023, 106 pages.


Cette recension est par Christine Bard (historienne du féminisme et auteure)
Guest reviewer: Christine Bard – historian and author. 
Translation in English by Mia Farlane.

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qpfeydel, photographe lilloise, a publié en 2022 une sélection d’écrits poétiques d’Arlette Perrin. Une nouvelle édition complétée par les dates et les lieux des poèmes est disponible depuis mai 2023.

Arlette Perrin a quitté ses amies, amantes et camarades dans les luttes féministes et lesbiennes le 28 mai 2020, vaincue par le cancer. L’information est là, implacable. La poétesse n’est plus, qui nous entr’ouvre les portes de son intimité et de son imaginaire. Ses mots toutefois abolissent la distance créée par la « grand faucheuse ».

A gauche, la photo, à droite, le poème, souvent court.

Parfois, une seule phrase. Comme :

« La création n’est-elle pas avant tout une jubilation égocentrique ? »

Peut-être, Arlette, peut-être…

L’exploration des sentiments, des émotions et des états d’âme inspire la poétesse, qui, justement, avoue sortir de son « je ».

« Je voyage en dehors de moi-même ».

Souvent, le « je » s’adresse au « tu », et l’on imagine là une histoire d’amour, là une rupture, ailleurs une relation un peu toxique :

« J’étais sur le trottoir

À côté de moi-même

Je sortais d’une sombre histoire

Même s’il y avait eu des jours dans ces nuits

Le gris carbonique de mes pensées polluait la ville »

Et bien sûr les moments d’extase. Bénis soient les « contacts en amande » !

Ce qui saisit chez Arlette est la présence du corps.

« À l’encre de ces mots

S’ancre le corps ».

Corps d’amantes ou « corps de nos rêves » : l’incarnation des émois.

De poème en poème, la sensualité, inclusive, embrasse les éléments naturels

« À la rive d’un bras qui retient l’écume

Le corps d’une dune se balance à la nuit ».

Dans nos vies pressées, les poèmes d’Arlette traduisent l’attention au monde, sensible à l’infini des signes : pavé luisant, feuille fanée, « bruit d’ailes froissées ».

« J’aime quand la pluie révèle l’odeur de la terre,

je me rappelle ce que je suis ».

La perception du monde passé ou présent, au filtre, souvent, des relations amoureuses, compose avec l’oubli, l’attente, les instants suspendus. Il y a des aubes, il y a des nuits, des lits de femmes ou de rivières, des ombres, des fissures, des plaies…

« Murmurent des mots incompréhensibles ».

Mission universelle de la poésie : nous aider à affronter les pertes de sens et les souvenirs évanouis.

De la poésie, pour affronter nos peurs.

« Mon sang tourne dans le vide ».

Et le silence.


Ce riche répertoire d’émotions est redoublé par la palette des « impressions photographiques » de qpfeydel, d’une sombre beauté. En noir et blanc ou en couleur, les photographies agrippent le détail, s’attardent sur les ombres, examinent les torsions, saisissent l’étrange – superbes poupées aux yeux vides, en vitrine de chez Meert, à Lille – embrassent le large maritime, se tournent du côté de la fenêtre entr’ouverte, trouvent du flou, beaucoup de flou, subliment le mouvement du vent, admirent les ciels orageux, tanguent dans les rues du Nord et font danser les murs de brique aux enseignes rétro, pénètrent les forêts, affligent les lys les plus joyeux, en quête de l’impossible fantôme, ombre d’Arlette en train de fumer.

Difficile de résister au plaisir que procurent ces photos. Leur registre, large, inclut le témoignage militant. On retrouve dans ce livre une photographie de la banderole des Dé/générées : « Désir et désordre ». Cela me touche, infiniment, de savoir que celle qui veut capter les beautés étranges de notre monde soit aussi une militante convaincue qu’un autre monde est possible. Dans les photos « dark » de qpfeydel, la lumière demeure, parfois éblouissante, et l’espoir est offert à qui sait regarder, à qui sait écouter, à qui sait aimer sans normes ni tabous.

Il fallut un peu de temps à qpfeydel pour tenir la promesse faite à Arlette de publier à la fois les photos de l’une et les poèmes de l’autre. Ils dialoguent de merveilleuse façon. Et nous plongent dans un état d’émotion très particulier.

On pense à la vie de celle qui rêva « nos corps qui retouchent l’amour de teintes or et bleue ».

On remercie qpfeydel qui nous offre un délectable trésor lesbien.

 

Christine Bard – historienne du féminisme, professeure d’histoire contemporaine à l’Université d’Angers et auteure de nombreux ouvrages, y compris Les garçonnes (Éditions Autrement, 2021).

 

Arlette Perrin, Poetic Writings, qpfeydel, Photographic Impressions, Toulouse, Impression coolLibri, 2022, new edition. 2023, 106 pages.

 

qpfeydel, a photographer from Lille, published in 2022 a selection of poetry by Arlette Perrin. A new edition, including the dates and places where the poems were written, came out in May 2023.

Arlette Perrin left her female friends and lovers, and her friends from the feminist and lesbian movements, on 28 May 2020, beaten by cancer. A cruel reality.  The poet is no longer, who allows us a glimpse into her inner world and imagination. Yet her words obliterate the distance created by the ‘Grim Reaper’.

On the left, the photo.  On the right, the poem, often short.

Sometimes a single sentence.  Such as:

‘The creative act, isn’t it primarily an egocentric jubilation?’

Perhaps, Arlette, perhaps …

Exploring feelings, emotions and moods inspires the poet, who, as it happens, admits to coming out of her first-person, singular: ‘I’. 

‘I travel outside of myself’

Often, the ‘I’ (je) addresses the informal ‘you’ (tu), and what we imagine here is a love story, or, here, a breakup, and elsewhere a slightly toxic relationship:

‘I was on the pavement

Beside myself

I was coming out of a dark story

Even if there’d been days among these nights
The grey carbon of my thoughts was polluting the town’

And of course moments of ecstasy.  Blessed be the ‘contacts en amande’!

What is striking in Arlette’s writing is the presence of the body.

‘The body is anchored
in the ink of these words’

Female lovers’ bodies or ‘bodies of our dreams’: emotions incarnate.

From poem to poem, sensuality, inclusive, brings the elements of nature into its hold.

‘At the bank of an arm that holds foam
A dune’s body sways on the night’

In our busy lives, Arlette’s poems bring our attention back to the world, sensitive to its endless signs: a glistening paving stone, a withered leaf, ‘the sound of rustling wings’.

‘I like it when rain brings out the smell of the earth,

I remember what I am’

Her perception of the world, past or present, often filtered through love affairs, deals with forgetting, waiting, delayed moments.   There are dawns, there are nights, women’s beds or riverbeds, shadows, rifts, wounds …
‘They murmur indecipherable words’

The universal mission of poetry: to help us deal with loss of meaning and vanished memories.

Poetry, to help us face our fears.

‘My blood wanders aimlessly’

And silence.

 

This rich repertoire of emotions is made stronger by qpfeydel’s pallet of ‘photographic impressions’, which have a sombre beauty. In black and white or in colour, the photos fix onto detail, linger on the shadows, explore the twists, grasp what is strange – superb dolls with empty eyes, in Meert’s shop window, in Lille – embrace the vast ocean, turn their attention on the half-open window, seek what is undefined, an abundance of blur, sublimate the wind’s movement, admire the stormy skies, sway in the streets in the north of France – making the brick walls with their retro signs dance, go into the forests, crush the most joyful of lilies, in search of the impossible ghost, Arlette’s shadow smoking.

It’s hard to resist the pleasure that these photos bring.  Their range, broad, includes an activist’s testimony. You can find in this book a photo of the (lesbian feminist group) Dé/générées’ banner: ‘Desire and disorder’.  I am touched, profoundly, to know that she who wants to capture the strange beauties of our world is also an activist convinced that another world is possible.  In qpfeydel’s ‘dark’ photos, light remains, sometimes dazzling, and hope is offered to whoever is able see, whoever is able to listen, to whoever is able to love outside of the norm and unhindered by taboos.

qpfeydel needed some time to keep her promise made to Arlette, that of publishing both the photos of one and the poems of the other. They are in an extraordinary dialogue with one another.  And plunge us into a very unique emotional state.

We remember the life of she who dreamt ‘our bodies that touch up love with tints gold and blue’.
Thank you to qpfeydel, who gives us a delectable lesbian treasure.

 

Christine Bard
(Translation by Mia Farlane)

Christine Bard is professor of contemporary history (University of Angers) and senior member of the Institut universitaire de France.  She works on the political, social and cultural history of women and gender and has published numerous books, individual and collective in this field, including Les garçonnes: Mode et fantasmes des Années folles (Autrement, 2021). She chairs the Archives du Féminisme association and directs the collection of the same name at the Rennes University Press. She runs the virtual museum on the history of women and gender MUSEA.



Lou Camino : MURMURES D’AILLEURS : Je n’irai pas à Buenos Aires (LES 4 SAISONS Éditions, 2020)

MURMURES D’AILLEURS : Je n’irai pas à Buenos Aires
(LES 4 SAISONS Éditions, 2020)
Lou Camino 

A photo-narrative of Aotearoa and Paris, during the pandemic. 

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I read this photo-narrative in London’s autumnal sun during that in-between period just after complete lockdown.  Photographer Lou Camino, a ‘self-proclaimed optimist’ created WHISPERS FROM ELSEWHERE : I won’t go to Buenos Aires just before and then during the first twenty-seven days of lockdown in Te Whanganui-a-Tara / Wellington in Aotearoa / New Zealand and during the last eighteen days of (the first) lockdown in Paris.  Two lockdowns that made a stop-over in Buenos Aires planned for the return trip to Paris impossible.  

In WHISPERS FROM ELSEWHERE, Lou Camino tells of fortuitous encounters and amusing cultural misunderstandings – including the story of the ‘kiwis’ not to be confused with ‘Kiwis’ , a comedy sketch you could see in the New Zealand comedy series Flight of the Conchords.  She shares her stream of consciousness thoughts – with mini thematic, informative detours, observations made during her prolonged stay in Aotearoa and her return to Paris. 

The text is studded with stunning photos – some of my favourite images are : Mount Vic Tunnel ; the photo taken on board the Ferry that links Te Whanganui-a-Tara in the North Island with Waitohi / Picton in the South Island; and the photo of Delux Café in Wellington, where you can savour homemade cakes and sandwiches.    

The photo of Cape Rēinga (p. 111) made me think of the moving bilingual docudrama (in te reo Māori and English) Māui’s Hook, directed by Paora Joseph, who accompanies five whānau (families) bereaved by suicide on a hīkoi (journey) towards Cape Rēinga : « the most northern point of the North Island […] the place where the soul of the dead cross over to join the beyond » (MURMURES D’AILLEURS / WHISPERS FROM ELSWHERE, p. 110).

The chapter nearing the end (Jour 16), where Lou Camino writes about « two incredible gestures of generosity and solidarity, initiated by groups of people » in Ireland and Taiwan made me think of the UK magazine Positive News, which only publishes journalistic articles about ‘good things that are happening’ : a magazine where I could easily imagine an interview with the optimist Lou Camino.  

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Māui’s Hook (2018) Trailer
The new film by Māori psychologist and filmmaker Paora Joseph (Tātarakihi: Children of Parihaka) invites open discussion of suicide through the brave testimony of five grieving families travelling to Cape Reinga.

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MURMURES D’AILLEURS : Je n’irai pas à Buenos Aires
(LES 4 SAISONS Éditions, 2020)
Lou Camino

Un récit-imagé – d’Aotearoa et de Paris, en pleine pandémie. 

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J’ai lu ce récit-photo au soleil automnal de Londres pendant la période floue de l’après-confinement.  La photographe Lou Camino, ‘une optimiste autoproclamée’ a créé MURMURES D’AILLEURS : Je n’irai pas à Buenos Aires juste avant et puis pendant les premiers vingt-sept jours de ‘lockdown’ (‘confinement’) à Te Whanganui a Tara / Wellington en Aotearoa / Nouvelle-Zélande et pendant les derniers dix-huit jours du premier confinement à Paris.  Deux confinements qui ont rendu impossible une escale à Buenos Aires prévue lors du voyage de retour à Paris.

Dans MURMURES D’AILLEURS, Lou Camino raconte des rencontres fortuites, des malentendus culturels amusants – dont l’histoire des kiwis à ne pas confondre avec des … Kiwis, un sketch qu’on imaginerait bien dans la série humoristique néo-zélandaise Flight of the Conchords (une sitcom sur deux Néo-Zélandais basés à New York qui prennent tout au pied de la lettre).  Elle partage ses pensées au fil de la plume – avec de petits détours thématiques instructifs, des observations faites pendant son séjour prolongé en Aotearoa et son retour à Paris. 

Le texte est ponctué de belles photos – quelques-unes de mes images favorites sont : celle de Mount Vic Tunnel ; celle prise à bord du Ferry qui fait l’aller-retour entre Te Whanganui-a-Tara dans l’Île du Nord et Waitohi / Picton dans l’Île du Sud ; et puis la photo de Delux Café à Wellington, où l’on peut se régaler de petits gâteaux et de sandwichs faits maison.   

La photo de Cape Rēinga (p. 111) m’a rappelé l’émouvant docudrame bilingue (en langue Māori et en anglais) Māui’s Hook, réalisé par Paora Joseph, qui accompagne un hīkoi (‘un voyage’) de cinq whānau (familles), endeuillées par le suicide d’un proche, vers Cape Rēinga : « le point le plus au nord de l’Île du Nord […] le lieu de passage des âmes des morts pour rejoindre l’au-delà » (MURMURES D’AILLEURS, p. 110).

Le chapitre vers la fin (Jour 16), où Lou Camino raconte « deux gestes incroyables de générosités et de solidarité, initiés par des groupes de personnes » en Irlande et en Taïwan m’a fait penser au magazine Positive News, qui ne publie que des articles de journalisme sur les « bonnes choses qui arrivent » : un magazine où l’on verrait bien une interview de l’optimiste photographe Lou Camino.        

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France Gall – Résiste
Résiste est une chanson interprétée par France Gall, paroles et musique de Michel Berger, sortie en single en 1981

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Murmures d’ailleurs Lou Camino 1 – Reader : Mia Farlane
Murmures d’ailleurs Lou Camino 2 – Reader : Mia Farlane
Murmures d’ailleurs Lou Camino 3 – Reader : Mia Farlane
Murmures d’ailleurs Lou Camino 4 – Reader : Mia Farlane
Murmures d’ailleurs Lou Camino 5 – Reader : Mia Farlane

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