Arlette Perrin – Ecrits poétiques, qpfeydel – Impressions photographiques (Toulouse, Impression coolLibri, 2022, rééd. 2023)

Arlette Perrin, Ecrits poétiques, qpfeydel, Impressions photographiques, Toulouse, Impression coolLibri, 2022, rééd. 2023

Arlette Perrin, Ecrits poétiques, qpfeydel, Impressions photographiques, Toulouse, Impression coolLibri, 2022, rééd. 2023, 106 pages.


Cette recension est par Christine Bard (historienne du féminisme et auteure)
Guest reviewer: Christine Bard – historian and author. 
Translation in English by Mia Farlane.

.

qpfeydel, photographe lilloise, a publié en 2022 une sélection d’écrits poétiques d’Arlette Perrin. Une nouvelle édition complétée par les dates et les lieux des poèmes est disponible depuis mai 2023.

Arlette Perrin a quitté ses amies, amantes et camarades dans les luttes féministes et lesbiennes le 28 mai 2020, vaincue par le cancer. L’information est là, implacable. La poétesse n’est plus, qui nous entr’ouvre les portes de son intimité et de son imaginaire. Ses mots toutefois abolissent la distance créée par la « grand faucheuse ».

A gauche, la photo, à droite, le poème, souvent court.

Parfois, une seule phrase. Comme :

« La création n’est-elle pas avant tout une jubilation égocentrique ? »

Peut-être, Arlette, peut-être…

L’exploration des sentiments, des émotions et des états d’âme inspire la poétesse, qui, justement, avoue sortir de son « je ».

« Je voyage en dehors de moi-même ».

Souvent, le « je » s’adresse au « tu », et l’on imagine là une histoire d’amour, là une rupture, ailleurs une relation un peu toxique :

« J’étais sur le trottoir

À côté de moi-même

Je sortais d’une sombre histoire

Même s’il y avait eu des jours dans ces nuits

Le gris carbonique de mes pensées polluait la ville »

Et bien sûr les moments d’extase. Bénis soient les « contacts en amande » !

Ce qui saisit chez Arlette est la présence du corps.

« À l’encre de ces mots

S’ancre le corps ».

Corps d’amantes ou « corps de nos rêves » : l’incarnation des émois.

De poème en poème, la sensualité, inclusive, embrasse les éléments naturels

« À la rive d’un bras qui retient l’écume

Le corps d’une dune se balance à la nuit ».

Dans nos vies pressées, les poèmes d’Arlette traduisent l’attention au monde, sensible à l’infini des signes : pavé luisant, feuille fanée, « bruit d’ailes froissées ».

« J’aime quand la pluie révèle l’odeur de la terre,

je me rappelle ce que je suis ».

La perception du monde passé ou présent, au filtre, souvent, des relations amoureuses, compose avec l’oubli, l’attente, les instants suspendus. Il y a des aubes, il y a des nuits, des lits de femmes ou de rivières, des ombres, des fissures, des plaies…

« Murmurent des mots incompréhensibles ».

Mission universelle de la poésie : nous aider à affronter les pertes de sens et les souvenirs évanouis.

De la poésie, pour affronter nos peurs.

« Mon sang tourne dans le vide ».

Et le silence.


Ce riche répertoire d’émotions est redoublé par la palette des « impressions photographiques » de qpfeydel, d’une sombre beauté. En noir et blanc ou en couleur, les photographies agrippent le détail, s’attardent sur les ombres, examinent les torsions, saisissent l’étrange – superbes poupées aux yeux vides, en vitrine de chez Meert, à Lille – embrassent le large maritime, se tournent du côté de la fenêtre entr’ouverte, trouvent du flou, beaucoup de flou, subliment le mouvement du vent, admirent les ciels orageux, tanguent dans les rues du Nord et font danser les murs de brique aux enseignes rétro, pénètrent les forêts, affligent les lys les plus joyeux, en quête de l’impossible fantôme, ombre d’Arlette en train de fumer.

Difficile de résister au plaisir que procurent ces photos. Leur registre, large, inclut le témoignage militant. On retrouve dans ce livre une photographie de la banderole des Dé/générées : « Désir et désordre ». Cela me touche, infiniment, de savoir que celle qui veut capter les beautés étranges de notre monde soit aussi une militante convaincue qu’un autre monde est possible. Dans les photos « dark » de qpfeydel, la lumière demeure, parfois éblouissante, et l’espoir est offert à qui sait regarder, à qui sait écouter, à qui sait aimer sans normes ni tabous.

Il fallut un peu de temps à qpfeydel pour tenir la promesse faite à Arlette de publier à la fois les photos de l’une et les poèmes de l’autre. Ils dialoguent de merveilleuse façon. Et nous plongent dans un état d’émotion très particulier.

On pense à la vie de celle qui rêva « nos corps qui retouchent l’amour de teintes or et bleue ».

On remercie qpfeydel qui nous offre un délectable trésor lesbien.

 

Christine Bard – historienne du féminisme, professeure d’histoire contemporaine à l’Université d’Angers et auteure de nombreux ouvrages, y compris Les garçonnes (Éditions Autrement, 2021).

 

Arlette Perrin, Poetic Writings, qpfeydel, Photographic Impressions, Toulouse, Impression coolLibri, 2022, new edition. 2023, 106 pages.

 

qpfeydel, a photographer from Lille, published in 2022 a selection of poetry by Arlette Perrin. A new edition, including the dates and places where the poems were written, came out in May 2023.

Arlette Perrin left her female friends and lovers, and her friends from the feminist and lesbian movements, on 28 May 2020, beaten by cancer. A cruel reality.  The poet is no longer, who allows us a glimpse into her inner world and imagination. Yet her words obliterate the distance created by the ‘Grim Reaper’.

On the left, the photo.  On the right, the poem, often short.

Sometimes a single sentence.  Such as:

‘The creative act, isn’t it primarily an egocentric jubilation?’

Perhaps, Arlette, perhaps …

Exploring feelings, emotions and moods inspires the poet, who, as it happens, admits to coming out of her first-person, singular: ‘I’. 

‘I travel outside of myself’

Often, the ‘I’ (je) addresses the informal ‘you’ (tu), and what we imagine here is a love story, or, here, a breakup, and elsewhere a slightly toxic relationship:

‘I was on the pavement

Beside myself

I was coming out of a dark story

Even if there’d been days among these nights
The grey carbon of my thoughts was polluting the town’

And of course moments of ecstasy.  Blessed be the ‘contacts en amande’!

What is striking in Arlette’s writing is the presence of the body.

‘The body is anchored
in the ink of these words’

Female lovers’ bodies or ‘bodies of our dreams’: emotions incarnate.

From poem to poem, sensuality, inclusive, brings the elements of nature into its hold.

‘At the bank of an arm that holds foam
A dune’s body sways on the night’

In our busy lives, Arlette’s poems bring our attention back to the world, sensitive to its endless signs: a glistening paving stone, a withered leaf, ‘the sound of rustling wings’.

‘I like it when rain brings out the smell of the earth,

I remember what I am’

Her perception of the world, past or present, often filtered through love affairs, deals with forgetting, waiting, delayed moments.   There are dawns, there are nights, women’s beds or riverbeds, shadows, rifts, wounds …
‘They murmur indecipherable words’

The universal mission of poetry: to help us deal with loss of meaning and vanished memories.

Poetry, to help us face our fears.

‘My blood wanders aimlessly’

And silence.

 

This rich repertoire of emotions is made stronger by qpfeydel’s pallet of ‘photographic impressions’, which have a sombre beauty. In black and white or in colour, the photos fix onto detail, linger on the shadows, explore the twists, grasp what is strange – superb dolls with empty eyes, in Meert’s shop window, in Lille – embrace the vast ocean, turn their attention on the half-open window, seek what is undefined, an abundance of blur, sublimate the wind’s movement, admire the stormy skies, sway in the streets in the north of France – making the brick walls with their retro signs dance, go into the forests, crush the most joyful of lilies, in search of the impossible ghost, Arlette’s shadow smoking.

It’s hard to resist the pleasure that these photos bring.  Their range, broad, includes an activist’s testimony. You can find in this book a photo of the (lesbian feminist group) Dé/générées’ banner: ‘Desire and disorder’.  I am touched, profoundly, to know that she who wants to capture the strange beauties of our world is also an activist convinced that another world is possible.  In qpfeydel’s ‘dark’ photos, light remains, sometimes dazzling, and hope is offered to whoever is able see, whoever is able to listen, to whoever is able to love outside of the norm and unhindered by taboos.

qpfeydel needed some time to keep her promise made to Arlette, that of publishing both the photos of one and the poems of the other. They are in an extraordinary dialogue with one another.  And plunge us into a very unique emotional state.

We remember the life of she who dreamt ‘our bodies that touch up love with tints gold and blue’.
Thank you to qpfeydel, who gives us a delectable lesbian treasure.

 

Christine Bard
(Translation by Mia Farlane)

Christine Bard is professor of contemporary history (University of Angers) and senior member of the Institut universitaire de France.  She works on the political, social and cultural history of women and gender and has published numerous books, individual and collective in this field, including Les garçonnes: Mode et fantasmes des Années folles (Autrement, 2021). She chairs the Archives du Féminisme association and directs the collection of the same name at the Rennes University Press. She runs the virtual museum on the history of women and gender MUSEA.



Souad Labbize : Enfiler la chemise de l’aïeule الجدة قميص ارتداء (Éditions des lisières / collection Hêtraie, 2021)

Souad Labbize
Enfiler la chemise de l’aïeule
الجدة قميص ارتداء
(Éditions des lisières / collection Hêtraie, 2021)
Bilingue français-arabe.
Traduction en arabe de Dhia Bousselmi
Couverture d’Annie Kurkdjian (www.anniekurkdjian.com)
58 pp

Souad Labbize is a literary translator, novelist, poet and editor. She lived in Algeria, Germany and Tunisia before making Toulouse her home. Slipping on my Grandmother’s Shirt is a collection of 25 poems that ‘evoke Algeria, a country connected, for [Souad Labbize], with childhood, with the mother figure, and with the author’s heritage as concerns both language and emancipation’ (editor’s description).

These poems are like very short stories that are both simple and profound. The eponomous poem (page 37) is about what is required for empathy: you have to slide naked / down the ramp of time / and slip on your grandmother’s shirt / to understand.

One poem is a (genius) metaphor for indecision, thought without action: You are one of those women / who go nowhere / you go over and over / what might be possible / and end up unpacking / your invisible suitcase.

Another (page 39) – At the butcher’s each woman / waits her turn / thinking she’s a customer – is an image, a moment in time, and an unmissably feminist poem.

The brevity and depth of these deceptively light-touch poems remind me of American Kay Ryan’s poetry. What a discovery. To read more, see Drafts of Love: five poems by Souad Labbize, translated from French and Arabic by Susanna Lang and Kay Keikkinen, in The Literary Review.

Thank you to Reuben Lane and Simon, for buying me this book some months ago at Violette and Co. in Paris.

(English translations of poems above © Mia Farlane)

.

.

Souad Labbize est traductrice littéraire, autrice de recueils de poésie, romancière et éditrice. Elle a vécu à Alger, en Allemagne et à Tunis avant de s’établir à Toulouse. Enfiler la chemise de l’aïeule est un recueil de 25 poèmes ‘évoquant l’Algérie, pays lié, pour l’auteur, à l’enfance, à la figure maternelle ainsi qu’à son héritage en matière de langue et d’émancipation’ (note de l’éditeur).

Ces poèmes sont comme de très courtes nouvelles qui sont à la fois simples et profondes. Dans le poème éponyme (page 37) il s’agit de ce qui est requis pour avoir de l’empathie: Il faut glisser nue / sur la rampe du temps / enfiler la chemise de l’aïeule / pour comprendre.

Un des poèmes est une métaphore (géniale) de l’indécision, la pensée sans suite: Tu es de celles / qui ne vont nulle part / / tu fais et refais / le tour des possibles / reviens ranger / ton bagage invisible.

Un autre (page 39) – A la boucherie chacune / attend son tour / croyant être cliente – est une image, un moment dans le temps, et un poème immanquablement féministe.

La brièveté et la profondeur de ces poèmes apparemment légers me font penser à la poésie de l’Américaine Kay Ryan. Quelle trouvaille.

Merci à Reuben Lane et à Simon, de m’avoir acheté ce livre il y a quelques mois chez la librairie Violette and Co., à Paris.

Charlotte Calmis : Gaïa et autres poèmes (Interstices Éditions, octobre 2020) Édition présentée et annotée par Marie-Jo Bonnet

Gaïa et autres poèmes
(Interstices Éditions, octobre 2020)
Charlotte Calmis
Édition présentée et annotée par Marie-Jo Bonne
t

.

Charlotte Calmis (1913-1982) était peintre, poète et féministe. La révolte des femmes des années 1970 lui a inspiré des poèmes qui situent son inspiration dans la grande tradition des Béguines et des mystiques féminines. « Quel secret dort noir au cœur de la dentelle ? » demande-t-elle dans Gaïa ? Secret de la féminité, mais aussi pour les femmes, de l’accès à leur propre parole. C’est une voix de femme puissante qui s’élève ici des entrailles de Gaïa, notre Terre-Mère. Ce recueil comprend des poèmes écrits tout au long de sa vie, dans une langue bouleversante soutenue par une émotion à fleur de peau. Charlotte Calmis a été ma mère spirituelle à qui je rends hommage dans mon dernier essai, «  La Maternité symbolique ». (Editions Albin Michel, 2020).

Marie-Jo Bonnet

.

(Voir ci-dessous la critique du 1 octobre)

.

Abonnez-vous pour être averti des nouveaux articles publiés: voir NEWSLETTER – Farlane on French Writers

.

Charlotte Calmis (1913-1982) was a painter, poet and feminist.  The Women’s Movement of the 1970s inspired her to write poems that situate her inspiration in the grand tradition of the Beguines and female mystics. ‘What secret lies sleeping dark in the heart of lace?’ Charlotte Calmis asks in Gaïa?  The secret of femininity, but also for women, a space where they may talk for themselves.  It is the voice of a powerful woman that rises up from the innermost part of Gaïa, our Mother Earth.  This collection by Charlotte Calmis is made up of poems written over a lifetime, a profoundly moving voice from a poet of great sensitivity.  Charlotte Calmis was my spiritual mother and I pay homage to her in my latest work, La Maternité symbolique (Editions Albin Michel, 2020).

Marie-Jo Bonnet

(See below the review from 1 October 2020)

.

Sign up to NEWSLETTER to be alerted when new reviews and writerly news are posted

Marie-Jo Bonnet : La maternité symbolique Être mère autrement (Albin Michel, 2020)

La maternité symbolique:
ce formidable processus de mise au monde de soi et de l’autre

Marie-Jo Bonnet  La maternité symbolique:

This incredible process of giving birth to oneself and the other

 

Aside from the crystal-clear title – Symbolic motherhood : Another Way of Being a Mother – note first the dedication: ‘To all my mothers’ , followed by a list of women of significant importance in the author Marie-Jo Bonnet’s life : her biological mother, her grandmothers (maternal and paternal), her ‘first extra-familial mother’, and Charlotte Calmis, her spiritual mother; then, last of all, ‘to all the women artists, writers, mystics, philosophers, psychoanalysts, and militants, who helped [her] to grow’.

All these women named above figure in this book, with a special place reserved to the ecofeminist Françoise d’Eaubonne, and to the poet, painter and spiritual mother Charlotte Calmis – whose poetry collection Gaïa et autres poèmes is due on 7 October from Interstices Éditions.

In La maternité symbolique, Marie-Jo Bonnet questions compulsory motherhood, denounces the baby-making business – be it by (GPA) ‘gestational surrogacy’ or by (PMA) ‘medially assisted procreation’.  She deconstructs the patriarchal conceptual cladding (as well as Antoinette Fouque’s pathological ones) plastered over maternity/motherhood, and criticises the ‘Ubuesque laws’ around GPA (‘gestational surrogacy’ – more precisely, ‘surrogate motherhood) and PMA : two acronyms that lead, what’s more, to the invisibilising of the word ‘mother’ – which amounts to ‘matricide’. 

Marie-Jo Bonnet also writes about her relationship with her mother, her beginnings in the women’s movement, her involvement with les Gouines Rouges (‘The Red Dykes’), her transformative friendship with Charlotte Calmis, and her trip to New York, where she stayed with Joan Nestle and Deborah Edel, co-founders of the Lesbian Herstory Archives.  

It is sadly fitting that a chapter nearing the end is dedicated to the tragic Notre-Dame fire.  The word ‘mother’ (from the Latin ‘mater’, from ‘mâ’, ‘to make /construct’) is linked to the word ‘materia’, meaning ‘wood’.  I am grateful for the strength of hope that may be found in this book – I’ll leave you to find the ‘deux arbres’/ two trees.    

La maternité symbolique : être mère autrement, by renowned historian and grassroots lesbian feminist Marie-Jo Bonnet, is to be placed alongside crucial feminist texts such as Christine de Pisan’s La cité des dames or the Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne by Olympe de Gouges.  One of the most prolific contemporary French feminist writers there is, Marie-Jo Bonnet is our ‘historian mother’, you might say.  In short : essential reading.

Here is a (non-exhaustive) list of people who figure in La maternité symbolique:

Charlotte Calmis ; Françoise d’Eaubonne, Éliette Abécassis, Monique Wittig, Simone de Beauvoir, Madame Guyon, Fénelon, Mirra Alfassa, Djuna Barnes, Natalie Barney, Joan Nestle, Deborah Edel, Michèle Causse, Gloria Steinem, Phénarète / Φαιναρέτη, Flora Tristan, Marija Gimbutas, Niki de Saint Phalle, Frida Kahlo, Ana Mendieta, Maud Séjournant

 

Other books by Marie-Jo Bonnet

Mon MLF (Albin Michel, 2018)

Simone de Beauvoir et les femmes (Albin Michel, 2015)

Adieu les rebelles (Café Voltaire, 2014)

Qu’est-ce qu’une femme désire quand elle désire une femme ? (Odile Jacob, 2004)

Les Relations amoureuses entre les femmes (Odile Jacob, 1995, 2001)

(and the list continues …)

 

Marie-Jo Bonnet – La maternité symbolique :

ce formidable processus de mise au monde de soi et de l’autre 

 

A part le titre on ne peut plus clair – La maternité symbolique : Être mère autrement – on peut noter d’abord la dédicace « À toutes mes mères »,  suivie d’une liste de femmes significatives dans la vie de l’auteure Marie-Jo Bonnet : sa mère biologique, ses grands-mères (maternelle et paternelle), sa « première mère extra-familiale », et Charlotte Calmis, sa mère spirituelle ; puis, pour finir, à « toutes les artistes, écrivaines, mystiques, philosophes, psychanalystes, militantes, qui [l]’ont aidée à grandir ».

Toutes ces femmes figurent dans ce livre, avec une place importante réservée à l’écoféministe Françoise d’Eaubonne, et à la poétesse, peintre et mère spirituelle Charlotte Calmis – dont le recueil de poèmes Gaïa et autres poèmes sort le 7 octobre chez Interstices Éditions.

Dans La maternité symbolique, Marie-Jo Bonnet remet en cause la maternité obligatoire, dénonce le marché de la maternité par la ‘gestation pour autrui’ (GPA) et de la ‘procréation médicalement assistée’ (PMA).  Elle déconstruit le bardage conceptuel patriarcal (et celui pathologique d’Antoinette Fouque) collé à la maternité, et critique les lois « ubuesques » relatives à la GPA (plus précisément « maternité de substitution ») et à la PMA : deux sigles qui mènent, d’ailleurs, à l’occultation du mot « mère » – ce qui revient au « matricide ». 

Marie-Jo Bonnet raconte aussi sa relation avec sa mère, ses débuts au MLF, sa participation aux Gouines Rouges, son amitié transformative avec Charlotte Calmis, et son voyage à New York où elle est hébergée chez Joan Nestle et Deborah Edel, les co-fondatrices des Lesbian Herstory Archives.  

Il est tristement seyant qu’un chapitre vers la fin soit dédié au tragique incendie de Notre-Dame de Paris.  Le mot « mère » (du latin « mater », de la racine « mâ », faire, construire) est lié au mot « materia », qui veut dire bois.  Je suis reconnaissante pour la force d’espoir qu’on retrouve dans ce livre – je vous laisse trouver les « deux arbres ».    

La maternité symbolique : être mère autrement de Marie-Jo Bonnet, historienne de renom et ‘lesbienne féministe de terrain’, est à placer aux côtés des textes cruciaux du féminisme, telles que La cité des dames de Christine de Pisan ou la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne d’Olympe de Gouges.  L’une des écrivaines féministes contemporaines les plus prolifiques qui soit, Marie-Jo Bonnet, c’est notre « mère historienne », pourrait-on dire.  Bref : incontournable.

 

Voici une liste (non-exhaustive) de personnes qui figurent dans La maternité symbolique:

Charlotte Calmis ; Françoise d’Eaubonne, Éliette Abécassis, Monique Wittig, Simone de Beauvoir, Madame Guyon, Fénelon, Mirra Alfassa, Djuna Barnes, Natalie Barney, Joan Nestle, Deborah Edel, Michèle Causse, Gloria Steinem, Phénarète / Φαιναρέτη, Gertrude Stein, Flora Tristan, Marija Gimbutas, Niki de Saint Phalle, Frida Kahlo, Ana Mendieta, Maud Séjournant

Regardez: Marie-Jo Bonnet : « Le féminisme est un combat collectif »



Other books by Marie-Jo Bonnet

Mon MLF (Albin Michel, 2018)

Simone de Beauvoir et les femmes (Albin Michel, 2015)

Adieu les rebelles (Café Voltaire, 2014)

Qu’est-ce qu’une femme désire quand elle désire une femme ? (Odile Jacob, 2004)

Les Relations amoureuses entre les femmes (Odile Jacob, 1995, 2001)

(et la liste continue …)


Edited by Marie-Jo Bonnet:

Gaïa et autres poèmes (Interstices Éditions, 2020)

 

 

      La maternité symbolique Marie-Jo Bonnet 1 - Reader: Mia Farlane
      La maternité symbolique Marie-Jo Bonnet 2 - Reader: Mia Farlane
      La maternité symbolique Marie-Jo Bonnet 3 - Reader: Mia Farlane
      La maternité symbolique Marie-Jo Bonnet 4 - Reader: Mia Farlane
      La maternité symbolique Marie-Jo Bonnet 5 - Reader: Mia Farlane
      La maternité symbolique Marie-Jo Bonnet 6 - Reader: Mia Farlane

N.B:
Charlotte Calmis : Gaïa et autres poèmes
sort le 7 octobre chez Interstices Éditions.

 

 

Abonnez-vous pour être averti des nouveaux articles publiés: voir NEWSLETTER – Farlane on French Writers

.

Sign up to e-newsletter to be alerted when new reviews are posted

 

Guillaume Apollinaire : Faire l’amour et faire la guerre ; Sous la direction éditoriale de Jean-Pierre Guéno (Le Passeur, 2020)

Faire l’amour et faire la guerre
(Le Passeur, 2020)
Guillaume Apollinaire
Sous la direction éditoriale de Jean-Pierre Guéno
La correspondance inédite en un seul volume des lettres d’Apollinaire aux femmes qu’il a aimées, et à deux allégories, la guerre et la mort.
672 pp

.

Voici, publié pour la première fois, toute l’écriture érotique épistolaire (dont des poèmes) de Wilhem Albert Vladimir Apollinaris de Kostrowitzky : toutes les lettres envoyées à quatre femmes qu’il a aimées.  Né à Rome en 1880 d’une mère polono-biélorusse, Albert Kostrowitzky a grandi dans un univers trilingue : français, polonais et italien).  Pendant son enfance, il a beaucoup voyagé avec sa mère en Europe.  A l’âge de 18 ans, il part vivre en France, et à 20 ans le futur auteur du ‘Pont Mirabeau’ (un poème dédié à son ex-amante, la peintre Marie Laurencin) prend pour pseudonyme Guillaume Apollinaire.  En 1914, il s’engage dans l’armée comme artilleur ; et obtient ainsi, deux ans plus tard, la nationalité française – six jours avant d’être blessé à la tempe par un éclat d’obus. En 1918, Guillaume Apollinaire, poète, dramaturge, nouvelliste, journaliste, romancier, éditeur de magazine, critique d’art et inventeur des termes « surréalisme » et « orphisme », et du calligramme, meurt à l’âge de 38 ans, de la grippe espagnole.  

Lire le recueil de lettres d’Apollinaire, c’est un peu comme tomber sur des journaux intimes (sans censure). Apollinaire estimait beaucoup ‘la franchise’.  Il « charge la lettre et il charge la parole » nous dit Laurence Campa, sa biographe (Gallimard, 2013) « de faire les choses pour lui, d’incarner à distance la caresse ». Il est dommage que les poèmes calligrammes n’aient pas été mis en page dans Faire l’amour et faire la guerre comme des calligrammes ; des notes faisant référence à cet effet (tels que : ‘calligramme en la forme d’étoile, calligramme en forme de canon) y font place.  L’éditeur, Jean-Pierre Guéno, discret, ne propose qu’une introduction fort concise, de courtes interruptions explicatives au fil du recueil, et, à la fin de « l’ouvrage, une chronologie et de très brefs ‘Que sont-elles devenues ?’ concernant les destinataires des lettres. J’aurais trouvé très utile si, en plus de cela, il y avait eu un index et quelques notes de bas de pages.  Cela dit, le livre fait déjà 672 pages, alors …

Les lettres, véritable un tour de force de prestation littéraire, se lisent comme une série de courts ‘one-man show’ – avec par exemple, dans la Lettre à Lou, datée du 28 janvier 1914, une petite querelle entre amoureux, suivie d’une réconciliation amoureuse élaborée. On peut aussi lire les réflexions d’Apollinaire sur ce qu’est être poète, et sur sa conception de la vie dans, par exemple, la Lettre à Madeleine, datée du 14 septembre 1915 : « je n’aime pas qu’on regarde les travers les vices ou les laideurs de l’homme sans sourire ce qui est une façon de comprendre et une façon de remédier en quelque sorte à notre misère en la voilant de grâce intelligente, dût-on en sangloter après ».  

.

.

Here, published together for the first time, is all the erotic epistolary writing (with poems) of Wilhem Albert Vladimir Apollinaris de Kostrowitzkty: his letters to four women he loved.  Albert Kostrowitzky, born in Rome, in 1880, of a Polish-Belarusian mother, grew up speaking three languages, French, Italian and Polish, and travelled with his mother around Europe as a child.  At 18, he moved to France, and at 20 the future author of ‘The Pont Mirabeau’ (a poem dedicated to his then ex-lover, the painter Marie Laurencin) took the pseudonym to Guillaume Apollinaire.  In 1914, he enlisted as an artilleryman; thus, two years later gaining his French nationality – six days before he was wounded in the temple by shrapnel.  In 1918, Guillaume Apollinaire, the poet, inventor of the calligram and of terms ‘surrealism’ and ‘orphism’, playwright, short story writer, journalist, novelist, magazine editor and art critic, died, at 38, in the Spanish flu pandemic.

Reading Apollinaire’s anthology of letters is a lot like finding someone’s uncensored diaries.  Apollinaire placed great value on ‘la franchise’ (directness), and he ‘gives the letters and what he writes in them’, as Laurence Campa, author of the biography Guillaume Apollinaire (Gallimard, 2013) points out, ‘the task of doing things for him, to embody, from a distance, a caress’.  It’s a pity the poems that are calligrams are not set out in Faire l’amour et faire la guerre as calligrams; notes to this effect (such as: ‘calligram in the shape of a star’, ‘calligram in the shape of a canon’) may be found instead.  As an editor, Jean-Pierre Guéno is unobtrusive, providing a helpful, concise introduction, brief explanatory interruptions throughout this anthology, and, at the end, a chronology and ‘What became of them?’ short bios concerning the letters’ recipients.  I’d have found it helpful if, added to this, there’d been an index and footnotes.  But in that this book is already 672 pages long …

The letters are a tour de force literary performance that read like a series of one-man act short plays – see, for example the letter from Nîmes, 28 Janvier, 1914, involving a lover’s tiff and that ends with an elaborate coming together.  You can also read Apollinaire’s comments on what it is to be a poet, and (see 14 Sep, 1915) his take on life:    ‘I don’t like it when people look at man’s failings, his defects, or his ugliness, without a sense of humour, which is a way of understanding and healing our misery to some extent by veiling it with a perceptive grace, even if you have to sob afterwards.’

.
.

Faire l’amour et faire la guerre (la critique): 1er paragraphe (reader: Mia Farlane)
Faire l’amour et faire la guerre (la critique): 2ème paragraphe (reader: Mia Farlane)
Faire l’amour et faire la guerre (la critique): 3ème paragraphe (reader: Mia Farlane)

.

Apollinaire, Les Poèmes à Lou de Guillaume Apollinaire France Culture
LAURENCE CAMPA
Guillaume Apollinaire (Collection NRF Biographies, Gallimard)

Abonnez-vous pour être averti des nouveaux articles publiés: voir NEWSLETTER – Farlane on French Writers

.

Sign up to e-newsletter to be alerted when new reviews are posted

Valérie Rouzeau : Sens averse (répétitions) (Éditions La Table Ronde, 2018)

Sens averse (répétitions)
Valérie Rouzeau
Éditions La Table Ronde, 2018, 140 pages


Valérie Rouzeau est magicienne de la langue ; elle invente des mots et détourne les expressions courantes.  Les poèmes dans Sens averse (répétitions) sont intelligents, ludiques et sérieux – et peuvent parfois faire rire aux éclats. Il y a quelque chose de très amusant dans le rythme de son écriture: par exemple, dans un poème sur la merveille qu’est l’énergie canine – cette phrase: ses pattes et sa pâtée / sa puce RFID ; quelque chose de si joyeux dans l’image du chien qui vous « fend la bise » lorsqu’il court sur la plage. 
     L’ordre apparemment sans queue ni tête des poèmes sied au ton sérieux de ce recueil – qui inclut des poèmes sur le changement climatique, sur les sans domicile fixe ; sur le suicide; sur quelqu’un qui fait les soldes (et en revient bredouille); sur une cour d’école bruyante tout à coté; sur la nourriture avec des nanoparticules ; sur une mégère qui crie et son ‘téléfon’; sur des conversations dans le Hole in the Wall (un bar londonien situé tout près de la National Poetry Library); ainsi que des poèmes dédiés à d’autres poètes – à Pascale Petit, à l’ancien Poète Lauréat des États-Unis Kay Ryan, et à d’autres poètes encore.
     Bonne nouvelle pour les anglophones : il existe deux recueils bilingues  de Valérie Rouzeau – Cold Spring in Winter (Arc Publications, 2009 / une traduction du recueil Pas Revoir) et Talking Vrouz (Arc Publications, 2013), grâce à la traductrice, Susan Wicks, elle-même poète – et romancière. 


Valérie Rouzeau is a linguistic magician; she invents words and subverts expressions.  The poems in Sens averse (répétitions) are clever, playful and serious – and sometimes laugh-out-loud funny, too.  There is something so fun about the rhythm of her writing: in, for example, a poem about the great wonder of a dog’s energy – this line: ses pattes et sa pâtée / sa puce RFID (its dog-paws, its dog-food, its doggy microchip); and something so full of joy in the image of the dog’s ‘windbreak-kisses’ (‘il vous fend la bise’) as it cuts across a beach. 
     The (apparently) random placing of this collection’s poems fits the ‘desperate-times’ tone of Sens averse – with poems about climate change; homelessness and suicide; going shopping during the sales (without buying anything); noisy children in a nearby schoolyard; food containing nanoparticles; a screeching adult human noise-polluter and her ‘loudphone’ (‘téléfon’); eavesdropping at the Hole in the Wall (a London pub near the National Poetry Library); and poems dedicated to other poets, such as Pascale Petit, and former US Poet Laureate Kay Ryan, as well as others. 
     Good news for readers in English: Valérie Rouzeau’s Pas Revoir (Le Dé bleu, 1999) and Vrouz (La Table Ronde, 2012) have been translated by the poet, novelist and translator Susan Wicks for the parallel texts Cold Spring in Winter (Arc Publications, 2009) and Talking Vrouz (Arc Publications, 2013).